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D’une voie ferrée à une voie verte : Vancouver transforme un chemin de fer en un parc prisé

avril 7, 2021
Clemence Marcastel

Cette contribution de Jillian Glover s’inscrit dans le cadre du projet « 10 ans ensemble dans les parcs urbains ». Ne manquez pas de suivre toutes les contributions publiées tout au long de l’année.    


  Quand j’étais enfant, j’ai grandi dans l’ouest de Vancouver, et la voie ferrée de l’Arbutus Corridor passait derrière les hautes haies de notre jardin. Ma sœur et moi jouions au bord des voies ferrées avec les enfants du quartier, laissant souvent sur les rails des pièces de monnaie que nous retrouvions, le lendemain, aplaties par les trains qui passaient.     Les enfants ont la faculté de transformer n’importe quel espace, même une voie ferrée, en un espace de rencontre et de jeu. Près de 40 ans plus tard, de nombreuses villes dans le monde adoptent des idées originales pour convertir des terrains industriels sous-exploités en espaces publics. À cet égard, le chemin ferroviaire de l’Arbutus Corridor, que la ville de Vancouver a acheté en 2016, illustre bien l’approche innovante adoptée actuellement pour la conception des parcs. En effet, la municipalité s’efforce de transformer cette voie ferrée, qu’elle rebaptisera « Arbutus Greenway », en un réseau de sentiers et de parcs traversant l’ouest de Vancouver.  

« L’Arbutus Corridor a une longue histoire derrière lui et traverse des zones de la ville qui, dans l’esprit de la population, sont déjà aménagées », explique Antonio Gómez-Palacio, associé chez DIALOG, le cabinet d’urbanisme dirigeant les phases de conception et de mobilisation citoyenne du projet. « Le convertir en voie verte a été un acte de ténacité et de créativité. Nous avons dû collaborer avec les résidents pour changer leur perception, et imaginer un parc qui n’attendait que d’être révélé. »

  L’histoire de la voie verte remonte à plus de 100 ans : depuis ses débuts en tant que chemin de fer pour les voyageurs et l’industrie locale, jusqu’aux négociations litigieuses entre la Ville de Vancouver et le Chemin de fer Canadien Pacifique (CFCP) pour son acquisition. Aujourd’hui, il est devenu une voie de transport actif qui s’étend de la destination touristique de Granville Island jusqu’à la limite sud de Vancouver, surplombant le fleuve Fraser. À l’avenir, elle deviendra un chemin multimodal reliant une série de parcs et d’espaces publics. En attendant, les résidents ont trouvé des manières innovantes de rassembler les gens sur son parcours.  

D’une voie ferrée à une voie verte

    L’Arbutus Corridor, auparavant appelé le « Vancouver & Lulu Island Railway », a été construit en 1902 par le CFCP afin de relier Vancouver au village de Steveston à Richmond, réputé pour son industrie de la pêche et de la conserverie. En 1905, la société BC Electric a signé un bail auprès du CFCP, a électrifié la voie ferrée et a commencé à fournir un service ferroviaire pour voyageurs appelé « Interurban ». Le train partait de l’extrémité nord du pont Granville, traversait les quartiers ouest de Vancouver et terminait son parcours à Richmond. Les trains interurbains ont cessé de circuler en 1952, mais les trains de marchandises courts ont continué à emprunter l’Arbutus Corridor jusqu’en 2001 (l’un de ses derniers clients était la brasserie Molson). Après cela, les voies sont restées à l’abandon pendant 15 ans.     Pendant tout ce temps, la municipalité a toujours eu le souhait de transformer la voie ferrée en une voie verte. En 2000, le Conseil a adopté un plan de développement officiel pour l’Arbutus Corridor, en proposant d’en faire une voie verte de transport à usage multiple. En 2014, la Ville de Vancouver a finalement entamé des négociations avec CFCP pour acheter le terrain qui traverse certaines propriétés comptant parmi les plus prisées d’Amérique du Nord. Toutefois, ils ne sont pas parvenus à s’entendre sur le prix. En conséquence, CFCP a menacé de faire circuler des trains sur la ligne et, pour préparer le terrain, la société a commencé à détruire les jardins communautaires installés le long des voies. Ces mesures ont accéléré les négociations et un accord a été trouvé en mars 2016, concluant la vente de l’Arbutus Corridor pour 55 millions de dollars. Le maire de l’époque, Gregor Robertson, avait déclaré que les quelque 17 hectares seraient utilisés comme voie verte, avec la possibilité d’ajouter ultérieurement un système léger sur rail pour voyageurs.

 

Embarquement immédiat

    La Ville n’a pas attendu que le projet soit finalisé pour rendre la voie verte accessible au public. En l’espace d’un an, Vancouver a construit une piste asphaltée temporaire de 9,5 km le long de la voie ferrée, reliant six quartiers dans l’ouest de la ville.   La voie verte dans sa version provisoire est en place depuis plus de quatre ans et a été largement plébiscitée par les résidents qui l’empruntent régulièrement. Chaque jour, elle attire des milliers de personnes qui peuvent la parcourir en marchant, ou en faisant du vélo ou du patin entre False Creek et le fleuve Fraser. Selon une étude sur la santé menée par INTERACT entre 2016 et 2019 sur la voie verte, sa fréquentation augmente de façon exponentielle chaque année. À cet égard, les résidents la considèrent comme une oasis de verdure au cœur de la ville, où ils peuvent se promener d’un bout à l’autre en toute sécurité et en toute tranquillité et créer des liens sociaux.  

« Cela a pavé la voie pour faire de nouvelles rencontres et faire connaissance avec ses voisins », déclare un participant à l’étude dans le quartier de Marpole.

 

« On a une impression d’espace et d’ouverture. J’ai l’impression d’être soudain en pleine nature au beau milieu d’une ville très animée, et tout est tellement paisible », dit un autre participant à l’étude, originaire de Kerrisdale.

  En 2018, le conseil municipal de Vancouver a approuvé un projet d’amélioration du sentier afin que les résidents puissent bénéficier de plus d’endroits où se rassembler, se reposer et profiter du paysage environnant. C’est cette décision qui a donné le coup d’envoi pour amorcer la planification de l’Arbutus Greenway. Même si les plans ambitieux pour cette voie verte ne devraient pas se concrétiser avant 2034, de nombreuses organisations locales s’efforcent d’exploiter l’espace existant à travers divers projets pour révéler tout son potentiel.     L’Arbutus Greenway Neighbour Hub, surnommé la « bibliothèque d’objets » (“lending library of things”) a été créé par Neighbour Lab, une coopérative spécialisée dans la conception et l’urbanisme, en collaboration avec Thingery. Un coin salon et un tableau d’affichage ont été mis à la disposition des visiteurs pour diffuser des informations. L’installation phare était une manivelle que les passants pouvaient activer pour produire de l’énergie cinétique afin de recharger leur téléphone cellulaire.  

« Nous avons lancé le Neighbour Hub afin de créer un centre communautaire et un lieu de rassemblement près de l’Arbutus Greenway », explique Stephanie Koenig, développeuse de contenu pour Neighbour Lab. « Nous avons conçu et mis en œuvre le projet en collaboration avec une équipe d’intendance du quartier. Un jour, un voisin qui passait par là pendant l’installation nous a même proposés de construire gratuitement une bibliothèque sur le côté! »

 

Trouver des espaces publics dans une ville densément peuplée

La prochaine étape dans l’évolution de la voie verte consistera à la transformer de manière permanente, afin qu’il ne s’agisse pas seulement d’un sentier, mais aussi d’une destination multifonctions, tant pour les nombreux quartiers situés à ses abords, mais aussi pour tous les résidents de Vancouver.  

Selon la municipalité, « l’Arbutus Greenway fait désormais partie intégrante du paysage de la ville de Vancouver. La municipalité prévoit d’en faire une destination axée sur la nature et sur l’histoire des lieux qu’elle relie entre eux. »

  Les voies vertes sont en général des parcs linéaires destinés aux piétons et aux cyclistes et relient des réserves naturelles, des lieux culturels, des sites historiques, des quartiers et des zones commerciales. Les voies vertes les plus populaires de Vancouver ont généralement été construites à cet effet et au bord de la mer, comme les digues de Stanley Park et de False Creek. L’Arbutus Greenway est la première voie verte reliant le nord et le sud de Vancouver qui traverse une zone déjà bâtie, en utilisant des terrains industriels réaffectés. Le projet de conversion de l’Arbutus Corridor s’inscrit dans une tendance croissante en matière d’urbanisme visant à transformer des infrastructures obsolètes en espace public. L’un des exemples les plus célèbres est la High Line de New York, un parc linéaire surélevé de 2,33 km de long créé sur un ancien embranchement du New York Central Railroad. Depuis son ouverture en juin 2009, la High Line est devenue une attraction touristique. En 2019, on a estimé qu’elle accueillait huit millions de visiteurs par an. Des projets tels que la High Line et l’Arbutus Greenway de Vancouver montrent qu’il est possible de créer de nouveaux espaces verts dans une ville densément peuplée. Lorsque les municipalités ne sont pas en mesure de convertir des stationnements en parcs, elles doivent alors faire preuve de créativité pour trouver d’autres parcelles de terrain sous-exploitées. Au Canada, le projet Meadoway à Scarborough, près de Toronto, entend transformer un corridor hydroélectrique en un sentier de 16 kilomètres composé d’espaces verts urbains et de prairies. La Ville de Toronto a également lancé le projet Bentway afin de transformer en parc linéaire un espace inutilisé sous l’autoroute Gardiner, près du lac Ontario. En 2020, la nécessité d’accroître le nombre de parcs dans les villes a atteint un point culminant. En raison de la pandémie de COVID-19 et des mesures de confinement qui ont forcé les résidents à rester chez eux, les villes ont dû répondre à une demande accrue en matière d’accès à la nature. Ceci a démontré clairement que les parcs ne sont pas seulement « souhaitables », mais qu’ils sont essentiels pour notre bien-être.  

Dans une enquête de juin 2020 menée par les Amis des parcs au Canada, 80 % des citoyens ont déclaré que les parcs étaient devenus plus importants pour leur santé mentale pendant la pandémie. Comme l’a écrit un participant : « Comme je vis seul, mes promenades et mes sorties à l’extérieur ont été les seuls moments où j’ai pu avoir un contact social pendant quatre mois. Sans accès aux parcs, aux ravins, aux sentiers et au bord de l’eau, j’aurais bien moins vécu les choses. »

 

Un chemin et une destination

   

La voie verte d’Arbutus sera un chemin, mais aussi une destination. Ville de Vancouver

  En 2017, la ville de Vancouver a collaboré avec DIALOG, un cabinet d’urbanisme et de conception canadien, afin de lancer une vaste campagne de mobilisation citoyenne pour la future transformation de l’Arbutus Greenway Avant que la ville ne lance le processus officiel de mobilisation citoyenne, les résidents étaient déjà emballés et enthousiastes à propos de cette idée. Le personnel municipal a commencé par placer des panneaux le long de l’Arbutus Corridor pour encourager les résidents à participer à sa transformation, des résidents qui y ont répondu en grand nombre. Cette consultation a montré un désir fort de voir cette voie verte devenir une voie de transport sûre et accessible, permettant de créer des liens et d’être en contact avec la nature :

« Ce sentier devrait interdire la circulation aux voitures, permettre aux gens de le parcourir à leur rythme, de s’arrêter pour profiter de la nature et de faire une pause dans un des restaurants à proximité. Des parcs et des espaces ouverts pour se détendre. »

 

« J’aimerais que l’on réintroduise la faune locale avec, si possible, plus d’oiseaux, plus de pollinisateurs. Je veux avoir l’impression d’être dans la nature tout en étant au beau milieu de la ville. »

 

« C’est pourquoi nous avons décidé de faire de la voie verte un lieu de vie et non un simple chemin multimodal », explique Antonio Gómez-Palacio. « Les résidents étaient déjà tellement investis dans le projet. Nous avons donc décidé de garder l’idée d’un parc et de lieux historiques durant la phase de conception. »

  Pendant la phase de planification et de conception, l’équipe du projet Arbutus Greenway a eu 7 000 interactions avec le public lors de plus de 50 événements, dont un atelier de conception sur plusieurs jours, de nombreux ateliers avec les parties prenantes, des journées portes ouvertes et des sondages en ligne. Des organisations locales telles que le Vancouver Public Space Network ont aussi participé au processus de mobilisation citoyenne dès le début, afin de veiller à ce que la voie verte offre des espaces publics dynamiques et réponde aux besoins des piétons et des cyclistes.    

« Nous avons défendu l’idée que le sentier soit d’abord destiné aux piétons, qu’il offre des pistes cyclables séparées pour tous les âges et tous les niveaux, qu’il établisse un tracé clair pour le futur tramway et, bien sûr, qu’il offre beaucoup de verdure », explique Naomi Wittes Reichstein, responsable du projet Arbutus Greenway pour le Vancouver Public Space Network.

  Le tramway auquel Naomi Wittes Reichstein fait référence représente un élément important dans la conception de l’Arbutus Greenway : la future construction d’un Système léger sur rail (SLR). Bien que cela fasse toujours partie des plans généraux pour la voie verte, l’humain continuera de rester au cœur de ce projet.  

« Nous avons participé à de nombreux projets de ce type et c’est toujours le véhicule le plus gros qui gagne. Pour le projet de l’Arbutus Greenway, la logique a été inversée en créant un lieu de vie pour les résidents, et non un espace pour le tramway. Je n’ai jamais vu ça, ni avant ni depuis », déclare Antonio Gómez-Palacio. « Nous avons fait en sorte qu’aucun programme communautaire ne disparaisse lorsque le tramway sera construit. » 

  Voici le résumé de la Ville de Vancouver sur le processus de consultation :  

« Le projet de l’Arbutus Greenway est né d’une mobilisation citoyenne importante. Il repose sur les aspirations des résidents pour la voie verte et sur le genre d’utilisations, d’activités et d’expériences qu’ils apprécient. De même, le processus de planification a fait émerger un certain nombre de thèmes prépondérants. Les participants ont notamment exprimé le souhait que cet espace soit un lieu sûr, agréable et accessible, qu’il soit propice aux interactions sociales, au jeu et à la détente, et qu’il offre des possibilités en matière d’écologie et d’agriculture urbaines. »

 

L’idée

  L’Arbutus Greenway relie plusieurs quartiers de Vancouver, dont Kitsilano, Arbutus Ridge, Shaughnessy, Kerrisdale et Marpole. Afin de refléter cette diversité, l’idée à long terme est que la voie verte soit divisée en huit zones avec des caractéristiques distinctes pour favoriser la détente et illustrer l’aspect et l’ambiance des quartiers environnants. Elle proposera des espaces revitalisés favorisant le mouvement et la détente.   Par exemple, une zone dans le secteur commercial du quartier Arbutus Ridge deviendra une « allée électrisée », en référence à la présence de poteaux électriques et à sa proximité avec Broadway, une avenue commerciale et voie de circulation très fréquentée. Cette zone offrira un panorama urbain avec deux esplanades reliées à l’extension souterraine du SkyTrain sur Broadway, ainsi que de grandes structures suspendues pour accrocher des installations artistiques publiques, des lumières et protéger contre les intempéries.  

« Nous voulions nous appuyer sur le caractère existant de ces quartiers », explique Lindsey Fryett-Jerke, urbaniste chez DIALOG. « Dans la future « allée électrisée », nous avons remarqué que des enfants y vendaient de la limonade et que des gens y vendaient des vêtements. Nous nous sommes donc inspirés du thème du commerce informel qui est ressorti de nos observations et avons conçu des bancs longs et larges où les gens pourront exposer des objets. »

 

« Dans la partie la plus au sud de la voie verte, les gens aiment regarder les avions atterrir à l’aéroport. C’est pourquoi, nous avons créé une tour d’observation », explique Lindsey Fryett-Jerke. Cette zone, baptisée “The Lookout », sera dotée d’une plateforme panoramique à plusieurs étages offrant une vue sur le delta du fleuve Fraser, l’aéroport international de Vancouver et les îles San Juan.

    Les six autres zones comprendront des espaces de rencontre et pour profiter de la nature. La zone “Harvest Table, dont le thème est la gastronomie, comprendra des aménagements paysagers comestibles, de longues tables communales pour manger en plein air avec les voisins, ainsi qu’un espace dédié aux activités éphémères. Les zones “The Ridge” et “Woodland Bend” constitueront des sanctuaires naturels, tandis que le “Garden Path” constituera une zone humide, avec une passerelle en bois et un kiosque public. Des lieux de rencontre et d’activités seront créés sur de grandes places au “Kerrydale Pass”, le plus grand pôle d’activités commerciales et civiques de la voie verte, et au “Marpole Meander”. Un grand jardin communautaire, des tables de ping-pong et de jeux de société, un échiquier géant, des hamacs, une piste pour apprendre à faire du vélo, un cabanon communautaire partagé et des structures suspendues pour accrocher des installations artistiques publiques et des lumières font aussi partie des plans. L’aménagement de la voie verte sera réparti selon quatre plans d’investissement successifs (avec la création de deux zones caractéristiques pour chaque plan).  

« L’Arbutus Corridor a toujours été perçu comme l’arrière-cour des quartiers qu’il traversait », explique Antonio Gómez-Palacio. « Grâce à ce nouveau projet, il en sera désormais la devanture, et cette conversion à 180 degrés en fera un espace sûr, accueillant et ouvert à tous. »

  Plus de trente ans après, le terrain de jeu secret de mon enfance va devenir une destination traversant toute la ville et dont pourront profiter des personnes de tous âges et de toutes capacités.

 

 

À propos de Jillian Glover

 

Jillian est une professionnelle accréditée des communications spécialisée dans les enjeux de transports publics et d’urbanisme. Anciennement commissaire pour les aménagements urbains de la ville de Vancouver, elle détient une maitrise d’études urbaines de l’Université Simon Fraser. Originaire de Vancouver, elle écrite sur les enjeux urbains pour The City Life, reconnu comme l’un des meilleurs blogues urbains par The Guardian.

 


 

Cette contribution de Jillian Glover s’inscrit dans le cadre du projet « 10 ans ensemble dans les parcs urbains ». Ne manquez pas de suivre toutes les contributions publiées tout au long de l’année.

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