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« Nous ne voulons pas d’entrées désignées » : rendre les parcs urbains du Canada accessibles aux personnes handicapées.

juillet 22, 2019
Jillian Glover

Au Canada, une personne sur sept est atteinte d’un handicap. La première chose qui vient à l’esprit lors de la conception d’un parc adapté aux besoins des personnes handicapées est l’accessibilité pour les fauteuils roulants, mais Brad McCannell, vice-président, Accès et inclusion à la Fondation Rick Hansen, veut que les urbanistes pensent autrement.

Bien que les villes construisent de plus en plus de parcs et de pistes accessibles aux fauteuils roulants, selon M. McCannel, il reste encore beaucoup à faire pour offrir un accès universel aux personnes atteintes d’un handicap, par exemple une déficience auditive, une perte de la vision ou une déficience développementale. Il tient à souligner que 70 % des personnes handicapées n’utilisent pas de fauteuil roulant.

« Il y a des personnes âgées qui ne peuvent pas courir ou étendre le bras très loin, mais elles ne sont pas considérées comme étant handicapées. Nous avons besoin de plus que des sentiers accessibles aux fauteuils roulants; nous devons examiner de manière globale ce que signifie être handicapé et pouvoir profiter des parcs et des loisirs. »

Le gouvernement du Canada affirme qu’en raison de la complexité du concept de handicap, il n’en existe pas de définition « opérationnelle ». La définition la plus largement acceptée est celle de l’Organisation mondiale de la santé :

Le terme handicap est un terme générique qui couvre les déficiences, les incapacités et autres restrictions à la participation. Une déficience est un problème de fonction ou de structure du corps; une incapacité est une difficulté éprouvée par un individu dans l’exécution d’une tâche ou d’une action; une restriction à la participation est un problème que connaît une personne dans des situations de la vie quotidienne. [Traduction libre]

Tout comme la majorité d’entre nous, les personnes atteintes d’un handicap, quel qu’il soit, choisissent de vivre en ville pour pouvoir accéder facilement aux services et aux commodités essentiels à leur santé et à leur bien-être, tels que les parcs. Les villes canadiennes en font-elles assez pour rendre les parcs accessibles?

Selon Mike Prescott, candidat au doctorat et chercheur sur la mobilité active des personnes handicapées, l’accessibilité aux parcs canadiens est très variée.

« Ce qui est accessible diffère d’une personne à une autre. Les personnes utilisant un scooter ont des exigences d’accessibilité différentes de celles des personnes atteintes d’une déficience visuelle. »

MM. Prescott et McCannel conviennent tous deux que les villes peuvent faire plus pour rendre les parcs réellement accessibles à tous.

Une meilleure information sur l’accessibilité et une meilleure signalisation

 

Mike Prescott et son chien, Gabby.

« De nombreux parcs offrent des expériences accessibles et intéressantes, mais qui ne sont pas connues. Ça concorde avec des éléments essentiels qui font défaut : de l’information sur l’accessibilité et de la signalisation pour aider les gens à parcourir les parcs et les sentiers, par exemple des cartes, des panneaux de signalisation et des éléments graphiques », explique M. Prescott.

L’information sur l’accessibilité a été améliorée grâce à la prolifération des cartes d’accessibilité numériques et des applications mobiles aidant les personnes handicapées à parcourir les villes et les parcs (AXS Map, Be My Eyes, AccessNow et Wheelmap), mais le contenu de bon nombre de ces applications est alimenté par leurs utilisateurs potentiels et si les données ne sont pas fiables, elles risquent de rendre la signalisation plus compliquée, et non plus simple.

Les villes peuvent résoudre ce problème en créant leurs propres cartes d’accessibilité aux parcs et installations de loisirs. La ville de Burnaby a récemment mené une vérification de l’accessibilité de ses installations, qui a abouti à la création d’un guide d’accessibilité (disponible en ligne et en format PDF, en anglais seulement). Il contient, pour tous les parcs et les édifices municipaux, des renseignements détaillés sur les itinéraires accessibles aux fauteuils roulants, les toilettes, les stationnements, les arrêts d’autobus et les signaux de circulation sonores.

Bien que fournir de l’information sur l’accessibilité aide les personnes handicapées à planifier leurs déplacements vers les parcs et les sentiers municipaux, il est aussi important d’offrir à ces personnes de la signalisation une fois qu’elles sont sur place.

« C’est bien d’avoir des parcs avec des sentiers, mais les personnes âgées ou atteintes d’une déficience sensorielle peuvent se sentir désorientées et décider de ne plus les utiliser. Une signalisation fiable peut aider les gens à sentir qu’ils ne sont pas perdus », affirme M. McCannel.

Les méthodes les plus efficaces et fiables pour la signalisation sont souvent des solutions simples, peu techniques et peu onéreuses, qui vont au-delà des indications de base, par exemple des poteaux tous les 15 à 100 mètres avec un côté rouge et un côté bleu le long des sentiers de randonnée, des marqueurs et des images à contraste élevé pour les personnes qui ne perçoivent pas la profondeur, un rail reliant les poteaux de façon à ce que les personnes utilisant une canne puissent le suivre, et des solutions sensorielles (jardin de lavande, sons, couleurs) qui rendent l’orientation plus intuitive.

Par exemple, les directives de conception accessible de la ville de Toronto spécifient que, pour l’installation de parterres de plantation dans un parc, les concepteurs doivent envisager d’utiliser des plates-bandes surélevées et des plantes odorantes.

 

La conception universelle est une question de subtilité

Selon Lisa Derencinovic, ambassadrice de la Fondation Rich Hansen à qui on a diagnostiqué une maladie oculaire d’origine génétique lorsqu’elle était âgée de quatre ans, « l’accessibilité est une pratique et une attitude d’inclusion et, plus important encore, consiste à créer des possibilités de se concentrer sur les capacités des personnes handicapées plutôt que sur leurs limitations. »

Lorsque j’ai demandé à M. McCannel de me montrer des exemples de parcs accessibles, il a répondu que c’est quelque chose qui est difficile à photographier, car ça ne devrait pas sauter aux yeux.

« Nous ne voulons pas d’entrées désignées. Nous voulons juste avoir accès comme tout le monde. Pourquoi y a-t-il toujours un symbole de fauteuil roulant sur la porte? Les gens ne veulent pas qu’il soit indiqué que des éléments sont destinés aux personnes handicapées », explique M. McCannel. « La conception universelle, lorsqu’elle est bien réalisée, n’est pas évidente. Elle devrait être aussi normale que possible. »

Selon M. McCannel, la meilleure chose à faire pour les parcs urbains est de demander une évaluation par un organisme d’accessibilité, par exemple dans le cadre du programme de certification d’accessibilité de la Fondation Rick Hansen (en anglais seulement). Ce programme offre l’évaluation de l’accès des espaces publics et des bâtiments commerciaux et résidentiels par des professionnels. Jusqu’à présent, plus de 1 100 évaluations de parcs, de parcs aquatiques, de terrains de jeux et de sentiers ont été réalisées.

Le programme sert également à mesurer le niveau d’accès au-delà d’un code du bâtiment et est basé sur l’expérience d’utilisation globale de personnes atteintes de handicaps divers nuisant à leur mobilité, leur vision et leur ouïe, y compris des personnes atteintes d’une déficience développementale et d’autisme.

L’accessibilité universelle est l’objectif que Glenys SnowDymond, spécialiste de l’accessibilité, Spinal Cord Injury BC (site en anglais seulement), s’était fixé dans le cadre de travaux d’amélioration du parc provincial Naikoon, situé dans les îles vierges et isolées de Haida Gwaii.

« Pendant la planification, nous avons convenu que l’accessibilité ne se limitait pas aux aires de pique-nique, aux bancs, aux toilettes extérieures et aux places de stationnement. Pour respecter les normes d’accès universel, il faut intégrer un large éventail de fonctions accessibles pour les personnes à vision, ouïe ou mobilité réduite, dont l’alphabétisation est limitée ou issues de la communauté multiculturelle. »

Nouveaux sentiers accessibles dans le parc Naikoon. Photo: Spinal Cord Injury BC

Le résultat : des trottoirs de bois étendus, des panneaux d’interprétation très contrastés lisibles en braille et un panneau qui souhaite à voix haute la bienvenue aux visiteurs. De plus, ceux et celles qui ne peuvent pas se rendre sur place peuvent désormais l’explorer virtuellement au moyen d’un site Web interactif (en anglais seulement) proposant des effets sonores, des animations et des messages informatifs.

 

Changer la culture de planification et de conception

« Souvent, les espaces publics sont considérés comme accessibles s’ils ont une rampe, et entièrement accessibles s’ils en ont deux », affirme M. McCannel. « Les parcs ne sont pas couverts par les codes du bâtiment, mais les planificateurs ont tendance à se rabattre sur ces codes lorsqu’ils tentent de rendre les parcs accessibles. Par exemple, certaines rampes pour fauteuils roulants qui répondent aux exigences des codes et qui sont sécuritaires à l’intérieur peuvent être dangereuses à l’extérieur lorsqu’elles sont mouillées. »

De nombreuses villes élargissent leur vision de l’accessibilité dans les espaces publics et les parcs en créant de nouvelles directives de conception qui vont au-delà des exigences minimales des codes du bâtiment. Par exemple, la ville de Calgary a créé un manuel de conception universelle qui encourage les professionnels de la conception – architectes, développeurs, urbanistes, concepteurs d’intérieur et concepteurs de sites Web – à assurer l’accès égal, l’inclusion sociale et le traitement équitable de toutes les citoyennes et de tous les citoyens. D’autres villes canadiennes, comme la ville de Burnaby, mènent des évaluations de l’accessibilité. M. Prescott ajoute :

« Les villes de Burnaby et de Vancouver ont déployé des efforts concertés pour intégrer l’accessibilité à leurs parcs au cours des dernières années. Burnaby a réalisé une évaluation de l’accessibilité de tous ses parcs et de toutes ses installations de loisirs, et adopte une approche stratégique pour améliorer l’accès pour tous. La clé pour les villes est de ne pas se concentrer sur des parcs en particulier, mais plutôt sur la manière dont le réseau de parcs peut répondre aux besoins des personnes handicapées. »

M. Prescott affirme que les services des parcs ont tendance à obtenir de meilleurs résultats que les autres services municipaux en matière d’accessibilité, mais qu’il leur faut embaucher plus de planificateurs et d’architectes paysagistes handicapés. Cela aiderait les planificateurs et les concepteurs de parcs à comprendre les défis et les obstacles en matière d’accessibilité.

 

 

Jacques Courteau, coprésident du comité consultatif sur les personnes handicapées de la ville de Vancouver, dans un nouveau fauteuil roulant aquatique offert par le Vancouver Park Board. Photo : Vancouver Park Board 

Si ce n’est pas le cas, les villes devraient au moins avoir un comité consultatif chargé de défendre en permanence les intérêts des personnes handicapées. En 2018, le comité consultatif sur les personnes handicapées de la ville de Vancouver a préconisé un meilleur accès aux plages spectaculaires de la ville. En conséquence, des tapis Mobi-Mat antidérapants et 10 nouveaux fauteuils roulants aquatiques sont désormais offerts pour faciliter l’accès à diverses plages et piscines de la ville (photo ci-dessus).

« Même les obstacles qui semblent mineurs peuvent empêcher l’accès des personnes handicapées et il faut savoir les reconnaître. Une fois qu’on apprend à les reconnaître, ça devient un automatisme. », dit M. McCannel. « C’est ça qui est merveilleux : en apprenant à voir les choses autrement, on apprend à changer la culture. »

Jillian Glover est une professionnelle de la communication spécialisée dans les questions d’urbanisme et de transport. Elle a été Commissaire à la Plannification pour la ville de Vancouver et est diplômée d’un Master en Études Urbaines de l’Université Simon Fraser. Elle est née et a grandi à Vancouver. Elle écrit sur les questions d’urbanismes pour son blogue, This City Life.