banner

À qui appartient ce parc de toute façon?

avril 14, 2020
Jillian Glover

Dans le livre This patch of Grass, la famille Hern Couture explore la question de la propriété et de la jouissance des parcs urbains au Canada.

Le parc Victoria est comme n’importe quel autre parc de quartier que vous pourriez croiser dans votre ville. Il a une aire de jeu, un petit terrain de sport et, plus important, un terrain de pétanque. C’est un petit parc, à peu de la taille d’un pâté de maison, situé au coeur du quartier de Grandview Woodlands près de Commercial Drive, dans le l’éclectique Petite Italie de Vancouver.

Le parc est rempli de familles jouant avec leurs enfants, d’hommes âgés jouant à la pétanque, de jeunes passant du temps ensemble, et un lieu de passage pour les personnes se rendant sur Commercial Drive. Il est unique pour chacune de ces personnes comme pour Matt Hern, Selena Couture, Sadie Couture & Daisy Couture, les auteurs de This patch of Grass, un livre qui questionne les politiques autour de la propriété des terrains comme celui du parc Victoria et de tous les parcs urbains au Canada.

 

Le terrain de pétanque du parc Victoria, actuellement fermé en réponse à la pandémie de la COVID -19 (photo: Jillian Glover).

Le livre pose des questions difficiles: est-ce qu’un parc urbain est vraiment conçu pour tous, comment la question de la propriété et de la gestion des parcs s’incorpore dans le processus de réconciliation avec les peuples autochtones? Chaque membre de la famille Hern-Couture tente de trouver une réponse à ces questions en les examinant via le prisme de leur parc de quartier.

Selon la famille: “ Comme chaque parc, le parc Victoria est au coeur de nombreuses histoires, de l’Histoire, et de tellement de relations… C’est un véhicule pour penser à l’occupation des territoires, de l’histoire de Vancouver, de notre usage des parcs urbains, et de leur prétention quasi-spirituelle à une appartenance au monde de la nature”. 

 

Les origines des Parcs Urbains: la Pacification du Chaos de la Ville Industrielle

 

Le parc Bryant à New York dans les années 30 (crédit photo: inconnu)

Les parcs “sont des lieux particulièrement fertiles quand il s’agit de parler de territoires”, selon Matt Hern. Il note que les gens ont tendance à parler des parcs comme des biens non qualifiés. Ils sont adulés comme des “oasis de nature” dans les villes, alors qu’ils sont tout autant naturels que les routes et les immeubles autour d’eux, et tout autant politiques.

Historiquement, les parcs ont été introduits comme des oasis de nature pendant la Révolution Industrielle, quand les villes ont commencé à être considérées polluées, exiguës, désordonnées, et pauvres. La nature était l’antidote contre la menace d’émeutes de masses mécontentes face aux conditions de vie misérables dans les villes. Mais la nature était sauvage, la réponse a donc été d’en introduire une version propre et pacifiée, comme un parc, au milieu de ce chaos urbain.

Les parcs urbains étaient originellement manucurés pour atteindre une certaine sérénité, avec jardins et feuillages, chemins pavés, fontaines et piscines contemplatives. Ces parcs étaients supposément créés pour tout le monde, mais ils ont servi d’outils pour déplacer des personnes dès leur création. Central Park à New York a forcé le déplacement du tout-premier village afro-américain, Seneca, et plus près de nous, le parc Stanley de Vancouver a déplacé un village autochtone appelé Xwayxway, où des potlatchs étaient encore pratiqués en 1875.

 

Les parcs, ces espaces sous contrôle colonial  

 

Un jeu de pétanques dans le parc Victoria (Crédit photo: Ville de Vancouver)

 

Alors que les parcs urbains ont commencé à devenir des lieux publics complexes aux confins des villes industrielles, ils sont aussi des lieux contrôlés strictement.

“La rhétorique autour des parcs déploie toutes sortes de messages comme quoi les parcs sont ouverts à tous, alors qu’en réalité ils sont extrêmement contrôlés, surveillés et supervisés pour empêcher la pratique de certaines activités et en promouvoir d’autres, ce qui en soi est très bien, chaque espace devant être réglementés, selon Matt Hern. “Mais être transparent est crucial pour ce processus. Les parcs s’affichent manifestement comme des lieux coloniaux ouverts aux blancs. Faire face à ce constant requiert que l’on reconnaisse que c’est le cas puis que l’on admette que c’est un problème”.

On aime à penser que les parcs urbains sont ouverts à tous pour chacun y fasse ce qui lui plaise. Mais, en plus de présenter une version propre, ordonnée et contrôlée de la nature, les parcs urbains sont conçus pour montrer une “représentation structurée avec soin des comportements acceptables à avoir”. Et ces types de comportements acceptables sont majoritairement blancs.

Selon Matt, les parcs urbains sont des lieux hautement politiques, hautements réglementés en faveur du ”bon sujet urbain: blanc, propriétaire, ayant un emploi, heureusement diverti et passivement pacifié”.

La version idéalisée des parcs urbains ne permet aux gens que d’y faire ce pourquoi le parc a été conçu: du tennis sur le terrain de tennis, des enfants dans les aires de jeux, du foot dans l’herbe, et ne faire que s’asseoir sur les bancs, etc…

Mais qu’en est-il des personnes qui mettent aux défis ces normes sociales? Par exemple, le planchiste qui roule près de la fontaine, l’itinérant qui dort sur le banc, ou les jeunes qui boivent un coup ensemble tard le soir près des balançoires?

Une des autrices, Sadie Couture, a posé des questions à tous les usagers du parc Victoria pour déterminer la signification que ce parc a pour chacun d’entre eux. Pour une mère de famille, c’est un lieu où elle peut voir ses enfants grandir. Pour un adolescent, c’est son lieu favori pour trainer. Pour un vieil italien, c’est un lieu de rencontre avec ses amis pour jouer à la pétanque.

 

Le reportage photo de Daisy Couture 365 jours au parc Victoria (Crédit photo: Daisy Couture).

“Le parc Victoria a une très grande diversité d’usagers qui ont des besoins et désirs différents voire opposés concernant l’utilisation de cet espace” nous explique Sadie. “Comme pour la majorité des parcs urbains, les propriétaires et les usagers les plus privilégiés ont une présence et une influence bien plus importante lorsqu’il s’agit de la prise de décision concernant ce que signifie être respectable. Alors qu’il y a de nombreuses façons de concevoir comment un parc peut être utilisé et par quoi, seule une poignée sont validés par la ville, la police et la collectivité”.

Pour Sadie Couture, il ne s’agit pas de permettre une totale anarchie dans les parcs urbains, mais plus de s’assurer que les comportements autorisés dans les parcs le sont de façon équitables et justes.

“Je ne pense pas que les parcs sont nécessairement trop réglementés, il s’agit plutôt d’une question de qui assure cette réglementation, de qui en fait l’objet, et de ses limites. Au-delà de cela, les parcs et leurs représentants se doivent d‘arrêter leur jeu de dupes à la base de cette réglementation” nous explique Matt Hern. 

 

La réconciliation avec les peuples autochtones 

 

Le bureau de gestion coopérative des Saoyú-Ɂehdacho est réuni durant le Camp du savoir de 2018 dans la péninsule de Saoyú on Sahtú – Great Bear Lake – dans les Territoires du Nord-Ouest (Crédit photo: Parcs Canada).

 

 

Historiquement, l’un des groupes qui a été mis de côté dans le cadre de cette conversation sur les usages et la gestion des parcs est les peuples autochtones, qui ont pris soin de ce territoire pendant des millénaires avant la colonisation.

Le parc Victoria se situe sur un territoire non cédé des nations Musqueam, Tsleil-waututh, and Squamish. Ce qui signifie que ce territoire n’a pas été acheté, qu’il n’a pas fait l’objet d’un traité, ou qu’aucune action armée n’a été menée pour en changer le statut. C’est le cas de la plupart des territoires à travers la Colombie-Britannique, puisqu’il y a plus de 198 premières nations dans la province, et seulement 7 traités signés.

Historiquement, les peuples autochtones ont été retirés de ces territoires, envoyés dans pensionnats autochtones, spoliés de leurs cultures et façons de vivre. Au Canada, la réconciliation a lieu à tous les niveaux pour résoudre les échecs de l’histoire et pour établir une nouvelle relation avec les peuples autochtones.

Dans This Patch of Grass, la famille Hern-Couture suggère que la décolonisation des parcs urbains pourrait être un acte fort de réconciliation et une manière de résoudre la sombre question de la propriété des parcs.

“Décoloniser nos parcs est la première irremplaçable et inéluctable étape pour ouvrir le débat sur le bien commun. Si les parcs doivent nous aider à nous améliorer, c’est sûrement là où il faut commencer”.

 

Le futur de la gestion des parcs 

 

Le bureau des parcs de Vancouver a recruté Geordie Howe, le premier archéologue municipal du Canada (à gauche sur la photo), et Rena Soutar comme planificatrice de la Réconciliation. Elle consulte largement les dirigeants autochtones pour s’assurer que l’histoire, l’héritage, les valeurs, la mémoire et les pratiques autochtones sont respectés dans les politiques et les programmes du Bureau des parcs (crédit photo: Bureau des parcs de Vancouver).

 

Dans son essai, Selena Couture se concentre sur l’histoire des peuples autochtones et du titre foncier du parc Victoria. Elle propose une métaphore pleine d’espoir décrivant ce à quoi le futur de la gestion des parcs avec les peuples autochtones pourrait ressembler.

“Dans le langage de la plupart des peuples autochtones du Lower Mainland, le mot pour visiteur est composé du mot “marche” et du suffixe “co”. Le visiteur est la personne qui marche à côté. Ce mot guide ma conception de comment se comporter: marcher, un perpétuel mouvement et une promesse présente avec le terrain qui a un impact très minimum au long terme; et avec, en relation avec les personnes qui étaient déjà présentes et en mouvement”.

J’ai demandé à la famille Hern-Couture ce que cette métaphore du visiteur marchant à côté des peuples autochtones pourrait signifier pour le futur de la gestion des parcs.

“Je pense que pour nous, marcher avec les peuples autochtones veut dire plusieurs choses. À un niveau individuel cela signifie que l’on reconnaît notre héritage en tant que colons et tout l’inconfort et la responsabilité que cela implique. Ensuite, nous pouvons commencer à démonter les structures coloniales et à construire de nouveaux systèmes de gouvernances en renforçant les communautés autochtones”explique Sadie Couture.

Elle note que cela implique d’abord de reconnaître et de s’éduquer sur ce qui s’est passé et de ce qui continue de se passer dans cette société néo-coloniale. Et de s’engager sur le long-terme pour changer notre relation collective avec les peuples autochtones et leur territoire.

“Un bon moyen de commencer serait d’en apprendre davantage et d’écouter les communautés autochtones qui sont liées aux différents parcs sur ce qu’ils souhaitent, ce que sont leurs besoins, et qu’elles sont leurs capacités.”

Selon Selena Couture, ce processus n’implique pas un transfert rapide de toutes la gestion et des responsabilités, mais plutôt de rester engagé envers ces lieux, d’assainir ses relations et de travailler en collaboration avec les communautés autochtones pour déterminer ce qui fait sens.

“Arriver à passer à un nouveau type de gestion des parcs va passer par ces relations, et commencer à forger ces relations pour que nous puissions travailler ensemble pour trouver des solutions.”

 

 

Jillian Glover est une professionnelle de la communication qui se spécialise dans les questions urbaines et des transports en commun. Ancienne Commissaires à la Planification pour la Ville de Vancouver, elle est détentrice d’une Maîtrise dans les études urbaines de l’Université Simon Fraser. Née et élevée à Vancouver, elle écrit sur les questions urbains dans son blogue The City Life.

L’image en couverture provient de Flickr Creative Commons.

 

Grâce au généreux soutien de