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Le parc Flyover : susciter des vocations en urbanisme pour la nouvelle génération à Calgary

mai 5, 2021
Park People

Cette contribution de Ximena González s’inscrit dans le cadre du projet « 10 ans ensemble dans les parcs urbains »

Cette série est réalisée avec le soutien de Dylan Reid et est illustrée grâce aux croquis de notre collègue Jake Tobin Garrett. Ne manquez pas de suivre toutes les contributions publiées tout au long de l’année.

 


 

À Calgary, en ce jour particulièrement printanier, le parc Flyover bourdonne d’activités et de rires enjoués. Entourés d’amis, deux adolescents se balancent sur une balançoire face à face, tandis que des préadolescents progressent dans une « jungle de bambous » (une structure d’escalade en trois dimensions, pour ceux qui ont le cœur bien accroché). Abritée sous le couvert d’un viaduc, une famille s’affronte dans une partie de ping-pong acharnée tandis que, derrière eux, une mère aide le plus jeune de ses enfants à grimper sur l’aire de jeux. On entend des conversations dans plusieurs langues : anglais, français, espagnol.

Dans ce contexte, il est difficile de croire qu’il y a à peine trois ans, cet espace n’était qu’un terrain en graviers à l’allure morose. « C’était plein de détritus, de graffitis, de seringues, de vêtements déchirés; on ne s’y sentait pas en sécurité », explique Ali McMillan, directrice de la planification à la Bridgeland-Riverside Community Association (BRCA).

Construit en 2020 grâce aux financements de l’organisation Parks Foundation de Calgary, un organisme à but non lucratif dont le mandat est de participer à la création de nouveaux parcs en faveur des résidents, le parc Flyover concrétise l’idée avant-gardiste d’un groupe de résidents engagés qui souhaitaient remettre en état un terrain vague plein de potentiel.

«Nous ne savions pas vraiment quelle direction prendre », explique Ali à propos de l’idée initiale de son groupe. « Nous souhaitions adopter une méthode issue de l’urbanisme tactique pour inciter les gens à voir cet endroit différemment », dit-elle.

Lancée initialement par les résidents, cette petite intervention allait par la suite transformer le quartier de manière durable, et constituer le premier projet de ce genre en Alberta.

 

Mâts d’escalade en « bambou ». Photo de Ximena Gonzalez.

 

Les résidents se réapproprient une « friche industrielle »

 

Situé à l’extrémité sud du quartier Bridgeland, entre le quartier lui-même et la rivière Bow, le parc Flyover se trouve sous un pont à étagement appelé « Viaduc de la 4e Avenue ». Il fait partie d’un échangeur complexe de routes et de ponts qui relie le nord-est de Calgary, de l’autre côté de la rivière, au centre-ville et à East Village.

Le site sur lequel se trouve aujourd’hui le parc Flyover est resté vacant pendant près de 20 ans. « Beaucoup d’entre nous ne savions même pas que le viaduc existait », explique Miles Bazay, un élève de l’école Langevin, située à 300 mètres au nord du site.

Année après année, des milliers de résidents de Bridgeland-Riverside sont passés en voiture, à pied ou à vélo devant cet endroit abandonné.

« C’était la première chose que les gens voyaient lorsqu’ils arrivaient dans notre quartier du centre-ville. Cela donnait une mauvaise impression car cela ressemblait à un terrain vague », dit Ali. Cependant, cet accueil inesthétique ne reflétait pas le caractère unique du quartier.

Caractérisé par ses maisons d’avant les années 1960, ses logements collectifs modernes ainsi que ses boutiques et restaurants indépendants, Bridgeland-Riverside représente l’une des quartiers les plus dynamiques du centre-ville de Calgary. Et ce sont ces atouts qui ont attiré une population jeune et diversifiée dans le quartier.

Remettre en état cet espace négligé sous le viaduc voulait dire relier les parcs, les jardins communautaires, les terrains de sport et les pistes cyclables du quartier au Bow River Pathway de Calgary, un réseau de 48 km de sentiers à usages multiples. Près d’un quart des résidents du quartier se rendent au travail à pied ou à vélo, et beaucoup d’entre eux empruntent ce réseau.

Malgré le potentiel de cet endroit, la Ville de Calgary n’avait aucune intention de redonner vie à cet espace. Toutefois, en 2016, inspirée par les travaux de Jason Roberts et de sa Better Block Foundation, Ali a décidé de lancer sa propre intervention d’urbanisme tactique.

« [L’urbanisme tactique] nous ouvre les yeux sur la façon dont nous percevons notre quartier et nous montre que notre opinion compte », dit-elle.

 

L’impact des petites interventions

L’urbanisme tactique est un mouvement citoyen qui a pris de l’ampleur dans les années 2010. Il encourage les résidents à tester des idées pour se réapproprier et transformer un lieu public oublié en un carrefour dynamique pour la population, et ce, d’une intervention temporaire à une autre.

Pour ce faire, l’installation de parcs éphémères dans des endroits négligés est une tactique courante, et un grand nombre de ces projets aboutissent souvent à des améliorations permanentes. À cet égard, le parc Flyover a été la première intervention tactique de Calgary à se transformer en un espace permanent.

Afin d’améliorer cet endroit, la BRCA, sous la direction d’Ali, a créé un groupe de travail afin d’ébaucher un plan d’action.

L’objectif était de « concevoir un lieu public agréable » et de « créer une porte d’entrée vers le quartier de Bridgeland-Riverside ».

Pour ce faire, ce document approfondi a décrit les étapes de conception ainsi que l’esthétique qui devaient guider le projet jusqu’à sa réalisation.

Pour améliorer ce lieu public, le groupe de travail s’est inspiré de projets réalisés aux quatre coins du monde, tels que le parc Superkilen à Copenhague et le parc Drapers Field à Londres.

Mais malgré les précédentes réussites, la mise en œuvre de ce projet n’a pas été une mince affaire.

« Il s’agit d’un projet vraiment unique, car nous n’avions jamais créé de parc urbain dans une “friche industrielle” en Alberta auparavant », explique Ali, soulignant le scepticisme initial d’un certain nombre d’intervenants, y compris des résidents eux-mêmes. « Beaucoup de gens n’étaient pas en mesure de voir au-delà de l’état actuel de cet endroit… Nous avons donc dû nous battre contre cette perception et essayer de leur montrer comment nous pouvions le transformer. »

En 2017, Ali et le groupe de travail ont effectué la première intervention tactique dans cet endroit.

« La première chose que nous avons faite a été de créer un jardin de moulins à vent. Nous avons installé une vingtaine de moulins à vent, en les plantant simplement dans le sol au beau milieu de l’hiver », se souvient Ali. Cela a permis d’attirer l’attention de nos futurs partenaires.

En l’espace d’un an, ces petites interventions ont conduit la BRCA à établir un partenariat avec la Ville de Calgary, avec les élèves de 6e année de l’école Langevin dans le quartier de Bridgeland et avec l’École d’architecture, d’urbanisme et d’aménagement paysager de l’université de Calgary. Le fait d’inclure des élèves de 6e année a joué un rôle primordial dans le développement du projet qui s’est montré très instructif non seulement pour les enfants, mais aussi pour toutes les personnes investies dans ce projet.

 

Illustration conceptuelle initiale basée sur les idées des élèves. Avec l’aimable autorisation de la ville de Calgary.

 

Une expérience d’apprentissage globale

En 2017, le service des Transports de la Ville de Calgary venait tout juste de terminer d’élaborer sa Stratégie de piétonnisation. Toutefois, bien que le conseil municipal n’ait alors pas encore alloué de fonds pour cette stratégie, le service des Transports était prêt à soutenir une initiative citoyenne à petit budget.

Lorsque Jen Malzer, ingénieure des transports à la Ville de Calgary, a entendu parler des activités de la BRCA visant à transformer l’espace sous le viaduc de la 4e Avenue et relier le quartier Bridgeland au sentier au bord de la rivière, elle et son équipe ont sauté sur l’occasion.

« Nous n’avions pas les fonds nécessaires pour engager des consultants, ce que nous faisons généralement avant d’entamer tout projet », explique Jen. Avec les élèves de 6e année de l’école Langevin et les étudiants en Maîtrise d’architecture paysagère de l’université de Calgary, l’équipe de Jen a adopté une approche différente. « Nous avons décidé de laisser les élèves imaginer les différentes parties du projet et leur avons apporté notre expertise quand nous le pouvions », explique-t-elle à propos de ce rôle inhabituel pour le personnel municipal.

Habitués aux multiples allers et retours pendant les séances de mobilisation citoyenne, Jen et son équipe ont donc dû apprendre à « lâcher les rênes » dans ce projet.

En outre, dans le cadre de sa stratégie de piétonnisation, la municipalité était en train de mettre sur pied un programme d’urbanisme tactique. En participant au projet du parc Flyover, le personnel municipal a ainsi pu acquérir une meilleure compréhension du processus.

« Cela nous a donnés un bon aperçu de ce que devrait être le rôle de la Ville lorsque nous travaillons avec la population », explique Jen. « Nous avons été témoins des possibilités lorsque nous laissons différentes opinions s’exprimer. »

Et dans ce cas, ce sont les élèves de 6e année qui se sont exprimés. Jen rappelle que les enfants sont toujours les bienvenus dans les activités de mobilisation citoyenne organisées par la municipalité, mais ils le font rarement. Ces élèves allaient par la suite jouer un rôle central dans le projet.« C’était une expérience vraiment super. Je n’aurais jamais imaginé que nous puissions faire quelque chose comme ça », dit Miles, qui comptait parmi les participants.

 

 

Grâce à la clairvoyance de leurs enseignants, 60 élèves de 6e année de l’école Langevin ont ainsi pu participer à ce projet. « [Ali] cherchait des élèves pour collaborer avec la Ville et parler des zones de Bridgeland qui sont un peu négligées », se souvient Kate Logan, l’une des enseignantes. Avec sa collègue Elaine Hordo, elles ont sauté sur l’occasion. « Nous cherchions un moyen de faire participer les enfants à un projet de mobilisation, quelque chose qui fasse bouger le quartier », ajoute Kate.

Emballée par le potentiel de cet endroit et les possibilités d’apprentissage pour les élèves, Jen a contribué à coordonner des visites éducatives auprès de différents services de la Ville. Ceci a ainsi permis aux élèves d’acquérir de bonnes bases afin de réfléchir à la transformation de ce lieu. « J’ai fait appel à différents experts, comme des sylviculteurs urbains, des urbanistes, des ingénieurs hydrauliques, afin de leur donner une idée de ce dont ils devaient tenir compte », explique Jen.

Cette expérience a permis aux enfants de réfléchir aux possibilités qu’offrait cet espace. « Nous avons passé beaucoup de temps sur le site, à observer autour de nous », dit Logan. Ils ont également visité d’autres quartiers de la ville et découvert différentes manières d’utiliser un espace vacant en vue de lui redonner vie et créer un esprit de communauté.

« Notre classe a décidé de faire quelque chose de cet endroit », explique Miles. « C’était un très bon emplacement mais il n’était pas utilisé de la bonne façon. »

Au printemps 2017, lorsque les étudiants diplômés de l’université de Calgary se sont lancés dans un atelier de conception, les enfants étaient plus que prêts à apporter leurs contributions. Lors de la première réunion de conception, Ben Hettinga, qui faisait alors partie des étudiants de l’université de Calgary, se souvient avoir été impressionné par les idées des élèves de 6e année. « Parmi leurs idées, il y avait des choses auxquelles on s’attend de la part d’enfants, comme des aires de jeux et des éléments ludiques. Mais il semble qu’ils se soient aussi attachés à en faire un espace sûr et accueillant pour tout le monde. » Jen partage aussi ce sentiment : « les élèves souhaitaient que le projet réponde aux besoins de tous en matière de divertissement, et pas seulement à ceux des enfants ».

Intégrant les connaissances et les idées de tous les élèves, les étudiants en architecture paysagère ont obtenu la mention honorable pour leur projet de conception lors de la cérémonie de remise des prix d’urbanisme du maire de Calgary et ont remporté un Prix national d’urbanisme. « Nous nous sommes amusés à imaginer comment égayer cet endroit », déclare humblement Miles. « Nous n’aurions jamais pensé que cela puisse devenir une réalité. Toutefois, nous avons obtenu un financement ce qui a réjoui toute la classe. »

 

 

Grâce à cette expérience, les élèves de 6e année ont appris beaucoup de choses en matière d’urbanisme, une possibilité dont bénéficient peu de Calgariens à un si jeune âge.

Selon Kate Logan, ce projet a montré à ses élèves l’importance de l’engagement civique : « en tant que citoyens, nous sommes responsables de nous-mêmes et des autres, et chaque décision que nous prenons a des répercussions sur les autres. »

Selon Ali, la participation de l’école Langevin a également contribué au succès du projet, et ce, en obtenant un financement initial de la part de la Calgary Foundation. « Avec ces fonds, nous avons repeint la route et acheté des chaises et des tables de pique-nique; nous avons aussi construit des jardinières et ce genre de choses », explique-t-elle.

Et leur contribution a été déterminante, car elle a permis de tester leurs idées et de montrer l’intérêt d’un tel projet pour le quartier. Le succès rencontré suite aux améliorations temporaires de l’été 2017 a solidifié le partenariat avec la Parks Foundation et conduit à d’autres améliorations, telles que la création d’une fresque murale et l’installation d’une table de ping-pong.

 

Peindre la route en tant qu’intervention tactique, 2017. Avec l’aimable autorisation d’Ali.

 

Concrétiser le rêve du quartier

Au printemps 2019, la Parks Foundation de Calgary a annoncé la construction d’un parc urbain permanent grâce à un don du gouvernement de l’Alberta.

« Je n’aurais jamais pensé que nous puissions avoir un tel impact dans notre quartier », déclare Miles.

Bien que la conception de cet espace ait fait l’objet de modifications successives et qu’un certain nombre d’éléments aient été abandonnés au stade de la construction, le parc Flyover traduit bien l’esprit des jeunes qui ont contribué à sa réalisation.

« Il ne s’agit pas d’une aire de jeu ordinaire. Nous avons essayé de concevoir un endroit pour tous, notamment pour celles et ceux qui n’avaient pas de lieu adapté pour eux », explique Ali.

Outre les équipements ludiques pour tous les âges, le plan d’aménagement comprend une esplanade pour accueillir les camions de restauration et des événements en plein air, offrant ainsi des possibilités de loisirs aux petits comme aux grands et reflétant l’esprit d’inclusion dont font preuve les élèves de l’école Langevin.

L’approche tactique du projet a également permis d’avancer rapidement. À cet égard, le corridor Bow to Bluff dans le quartier Sunnyside, un projet similaire dans le centre-ville de Calgary et également mené par des résidents mais adoptant une approche plus conventionnelle, a mis près de 10 ans à se concrétiser.

Ces interventions tactiques ont également incité la municipalité à mener d’autres améliorations dans les rues principales du quartier, telles que le Plan directeur du paysage urbain de la 1st Avenue NE qui vise à améliorer l’expérience des piétons et des cyclistes et à relier les infrastructures de Bridgeland, notamment le parc Flyover, au sentier de la rivière Bow.

Mais en définitive, la BRCA a fait plus que transformer un terrain vague en un carrefour dynamique pour la population. Les efforts des résidents ont également contribué à susciter des vocations en urbanisme pour la nouvelle génération.

« Je pense que nous avons beaucoup appris sur ce que nous pouvons réellement faire pour transformer nos quartiers », déclare Miles. « Et si davantage d’élèves pouvaient participer à des projets comme celui-ci, je pense que ce serait très bénéfique pour leur quartier. »

 

 

À propos de Ximena González

Ximena González est une autrice indépendante basée à Calgary. Son travail a été publié dans The Sprawl, The Tyee et The Globe and Mail.

 


 

Cette contribution de Ximena González s’inscrit dans le cadre du projet « 10 ans ensemble dans les parcs urbains »

Cette série est réalisée avec le soutien de Dylan Reid et est illustrée grâce aux croquis de notre collègue Jake Tobin Garrett. Ne manquez pas de suivre toutes les contributions publiées tout au long de l’année.

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