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Entre réciprocité et relation en bonne intelligence : les leçons à tirer du Turtle Protectors High Park

juillet 20, 2022
Park People

Carolynne Crawley est l’une des conférencières principales de la conférence des Amis des parcs 2023, et le programme Turtle Protectors sera présenté lors d’une visite de High Park. Rejoignez-nous à Toronto du 21 au 23 juin 2023, l’inscription à la conférence est ouverte.

« Nous serons peut-être interrompues. Il se peut que je reçoive un appel, car je suis de permanence. »

C’est ainsi qu’a commencé ma conversation avec Carolynne Crawley.

La permanence téléphonique à laquelle Carolynne fait référence a été lancée par Turtle Protectors High Park, une ligne d’assistance gérée par des bénévoles que les usagères et usagers du parc High Park peuvent composer s’ils observent des tortues en train de nicher.

Carolynne, l’une des deux fondatrices du projet Turtle Protectors High Park, est d’origine mi’kmaq et d’ascendance mixte et vient de la côte Est du Canada. Elle a aussi fondé l’organisation Msit No’kmaq qui signifie « Toutes mes relations » en micmac. Carolynne fait également partie du Clan de la Tortue et est membre de l’Indigenous Land Stewardship Circle [Cercle Autochtone pour l’administration des terres].

En général, lorsque nous rédigeons un article sur les bénéficiaires d’une Bourse TD Amis des parcs, nous présentons des événements organisés dans des parcs qui mettent en évidence les liens vitaux entre les gens et la nature.

Cependant, nous avons trouvé que l’histoire qui a donné naissance au projet Turtle Protectors High Park était particulièrement intéressante, car elle met en évidence deux principes importants du savoir Autochtone qui peuvent façonner la manière dont nous créons des liens avec la nature et les uns avec les autres :

  • La réciprocité : Percevoir la Terre et les autres êtres vivants comme des membres de la même famille peut nous inciter à prendre soin de toutes les espèces autant que nous prenons soin de nos semblables.
  • L’établissement de relations en bonne intelligence : L’idée qu’il faut du temps pour établir de bonnes relations et que le processus lié à l’établissement de ces relations est tout aussi important que l’aboutissement de ces relations.

Réciprocité et observation de la nature

Un matin en juin 2021, Carolynne se promenait à High Park lorsqu’elle a aperçu une grande tortue serpentine qui tournait en rond. Même si Carolynne ne savait pas ce qu’il se passait, elle a eu le sentiment que c’était important. Elle a également réalisé que le comportement des promeneurs et des chiens non tenus en laisse – apparemment inoffensif du point de vue des humains – pourrait facilement perturber la situation et faire courir un risque à cette tortue serpentine, dont la vie était tout aussi importante que la sienne.

Le Rapport sur les parcs urbains du Canada de 2022 des Amis des parcs décrit le concept de « connexion avec la nature » et présente le travail très respecté de Carolynne, dont le but est d’aider les gens à cultiver une relation réciproque avec la nature et les autres êtres vivants. Comme le souligne le rapport, la relation que les colons entretiennent avec la nature est marquée depuis longtemps par le désir d’en extraire ses ressources. Cette idée d’extraction des ressources se reflète en effet dans le fait que les humains ont tendance à valoriser les parcs uniquement pour les avantages qu’ils leur apportent. En tissant des liens de réciprocité avec la nature, nous pourrions réfléchir à ce que nous pourrions apporter aux espaces naturels, comme ceux qui sont présents dans les parcs.

 


Un oeuf de tortue, Toronto, 2022

 

Comme le dit Carolynne dans le Rapport sur les parcs urbains du Canada de 2022,

« J’invite toujours les gens à réfléchir à leurs relations avec autrui. Si l’on passe son temps à donner, donner, donner en permanence, et que l’autre personne ne fait que prendre, prendre, prendre sans faire preuve de respect ni de gratitude, alors il y a un déséquilibre. » « En tant qu’êtres humains, nous avons la responsabilité individuelle et collective d’entretenir de bonnes relations avec notre planète Terre, tout comme nous devons entretenir de bonnes relations avec nous-mêmes et les autres. »

En parlant avec Carolynne, je me rends compte que cette idée l’habite au quotidien lorsqu’elle se rend à High Park. Carolynne est attentive à ce qu’il se passe dans la nature et s’efforce de faire preuve de bienveillance et de respect envers tous les êtres vivants avec lesquels elle partage le parc. C’est pourquoi Carolynne a pris le temps de s’arrêter, d’observer et d’agir pour aider la tortue serpentine.

En écoutant cette histoire, je me demande si j’aurais moi-même remarqué cette tortue. Ou, si j’aurais eu la présence d’esprit de m’arrêter et de réfléchir au comportement de la tortue. Je me demande si, comme Carolynne, j’aurais pris le temps nécessaire de répondre aux besoins d’une tortue.

L’histoire de cette tortue à l’origine de ce projet est quelque peu ironique, car elle souligne l’importance de ralentir le rythme et de prendre le temps de cultiver des liens avec le monde naturel. Si j’étais moins comme le lièvre en train de courir et plus comme la tortue qui avance lentement dans le parc, peut-être aurais-je pris le temps de m’arrêter et d’observer, et perçu cette relation de réciprocité.

Ceci est l’une des nombreuses leçons que nous pouvons apprendre des tortues.

Une tortue en train de pondre des oeufs à High Park, Toronto, 2022

 

Ce que nous apprenons grâce aux tortues

En voyant cette tortue, Carolynne a appelé Jenny Davis, qui était la coordonnatrice des événements et des bénévoles du High Park Nature Centre. Jenny est devenue une experte de la collaboration. Dans sa biographie pour la Conférence 2022 des Amis des parcs, elle se décrit comme ayant « un don pour rassembler les gens afin de concrétiser un projet rapidement et efficacement ».

Ces deux qualités se sont révélées essentielles pour protéger la tortue serpentine.

Ensemble, les deux femmes ont appelé plusieurs experts avec lesquels elles étaient déjà en contact, notamment au sein du personnel de High Park, ainsi que le biologiste Marc Dupuis-Desormeaux, spécialiste des tortues à l’Université York. Et c’est Marc qui a mis Carolynne et Jenny en relation avec un autre groupe citoyen dédié aux tortues : le Heart Lake Turtle Troopers de Brampton, également bénéficiaire d’une bourse TD Amis des parcs.

Grâce à ces discussions, Carolynne et Jenny ont appris plusieurs choses :

  1. La tortue serpentine observée à High Park tournait en rond pour trouver l’endroit idéal où pondre ses œufs.
  2. Il était donc important de protéger la tortue et ses œufs. En effet, toute perturbation pendant la ponte pourrait amener la tortue à quitter le site de nidification sans avoir pondu, ce qui pourrait engendrer une rétention d’œuf et la faire mourir.
  3. La mort d’une seule femelle portant des œufs a d’énormes répercussions sur l’ensemble de la population, car non seulement ses 40 à 50 œufs ne survivront pas, mais il faut 20 ans pour qu’une seule tortue serpentine atteigne l’âge de se reproduire.
  4. Bien que les huit espèces de tortues vivant en Ontario sont en danger, il n’existe aucun programme de protection des tortues à Toronto.
  5. En installant une simple barrière de protection sur le site de nidification, on empêche les prédateurs urbains comme les ratons laveurs et les mouffettes, ainsi que par les chiens non tenus en laisse, de s’attaquer aux œufs de tortue qui ont alors une chance d’éclore.

 

 


Carolynne Crawley installe une barrière de protection sur le site de nidification pour empêcher les prédateurs urbains de les attaquer

 

Établir des relations « en bonne intelligence »

Avant même que Carolynne et Jenny n’aient posé le premier dispositif de protection des nids de tortue construit par le contremaître intérimaire de High Park, Kyle Moffit, d’autres usagères et usagers du parc avaient signalé la présence de tortues en train de pondre dans le parc.

Poussées à agir par la tortue serpentine qu’elle avait observée, Carolynne et Jenny ont décidé de créer un programme de protection des nids de tortues à High Park afin de :

  • Cultiver et transmettre les connaissances et le leadership Autochtones dans le parc,
  • Sensibiliser le public à la nidification des tortues à High Park,
  • Encourager les visiteurs à devenir des protecteurs bénévoles afin d’identifier les tortues en phase de nidification et ayant besoin d’être protégées,
  • Construire et distribuer des dispositifs de protection aidant les tortues et leurs œufs à survivre et à prospérer dans le parc, tout en permettant aux petites tortues d’éclore et de quitter le dispositif de protection en toute sécurité.

La protection du premier nid a donné le ton du projet.

Pour lancer ce programme, Carolynne et Jenny ont eu besoin du soutien de la ville et des bénévoles pour mener des observations dans le parc, ainsi que de matériaux et de main-d’œuvre pour fabriquer les dispositifs de protection.

Helen Sousa, superviseure générale du parc, a pris la première mesure positive en réduisant les obstacles à la protection des tortues à High Park. Alors qu’il faut généralement passer par un processus bureaucratique compliqué pour obtenir un soutien pour ce genre de projet, Helen a répondu au projet Turtle Protectors High Park lancé par Jenny et Carolynne par un « Oui, mettons cela en œuvre, essayons ». Cette conversation a ainsi permis de donner le feu vert à la fabrication de plusieurs autres dispositifs de protection des tortues.

Comme le soulignent Jenny et Carolynne, le fait que la Ville ait opté pour une collaboration « en bonne intelligence » avec elles a permis de créer une relation solide et de confiance. Le simple fait de dire « oui » a donné lieu à de nombreuses autres relations et collaborations positives qui ont abouti à un solide programme de protection des tortues et de leurs œufs à High Park.

 


Une visite a été organisée par High Park Turtle Protectors pour passer le mot dans tout le parc. Crédit : High Park Nature Centre

 

Ces relations comprennent :

  • Depuis le début, avec les membres du Clan de la Tortue à l’avant-plan, le programme Turtle Protector a bénéficié du soutien des organisations Msit No’kmaq, Indigenous Land Stewardship Circle, Taiaiako:n Historical Preservation Society, ainsi que celui des Aînés Autochtones et des membres du public.
  • Le service des Affaires autochtones de la Ville de Toronto a sollicité le soutien du service de Contrôle des animaux de la municipalité. Le service de Contrôle des animaux s’est chargé de fabriquer et d’installer des panneaux de protection des tortues bien visibles encourageant les visiteurs du parc à participer à leur protection. Ce service a également fabriqué des dispositifs de protection pour assurer la sécurité des tortues et de leurs œufs.
  • Helen Sousa a demandé que des affiches soient placées dans le réfectoire du personnel de High Park afin de l’informer sur le programme de Turtle Protectors, de l’inciter à adopter des pratiques exemplaires pour veiller sur les tortues nicheuses et de participer à diffuser ce message dans l’ensemble du parc.
  • Quant à l’organisation Heart Lake Turtle Troopers, ils ont organisé des visites dans leur zone de conservation à Brampton et fournissent régulièrement leur soutien et des conseils.
  • Le biologiste Marc Dupuis-Desormeaux reste disponible pour rédiger des textes et répondre aux questions urgentes sur les tortues.

En discutant avec Jenny et Carolynne, il m’est apparu clairement que lancer le projet Turtle Protectors High Park a demandé un énorme effort de collaboration. À ce propos, il faudrait presque indiquer dans un générique de fin le nom de toutes les personnes ayant contribué à son succès (attendez la fin de cet article pour le voir).

 

Les résultats d’une collaboration en bonne intelligence

En tant que Gardienne de la foi du Clan de la Tortue tachetée et artiste Autochtone pluridisciplinaire, Catherine Tammaro a créé l’image de la tortue qui figure sur les panneaux aux couleurs vives que le service de Contrôle des animaux a fabriqués pour inciter le public à protéger les tortues. Jenny explique pourquoi ce geste est aussi important :

« La Ville suit désormais les conseils des personnes Autochtones. Et j’espère que c’est un modèle que nous pourrons reproduire dans l’avenir. »

En prenant les devants, les Autochtones ont jeté les bases d’un nouveau type de collaboration.

À cet égard, le projet a été officiellement inauguré le 1er mai 2022 avec une fête organisée par le Clan.

Et avant la construction dans le parc d’un petit bâtiment devant être érigé là où nichaient des tortues serpentines, la superviseure générale du parc s’est adressée à Turtle Protectors High Park pour leur demander leur avis et leurs conseils. Grâce à l’établissement de cette relation, la Ville tiendra désormais compte de la saison de nidification des tortues pour ses prochains projets de construction.

Par ailleurs, Turtle Protectors High Park mettra à la disposition du service de Contrôle des animaux, du personnel de High Park et du conseiller municipal du secteur, sa carte recensant les sites de nidification des tortues. Étant donné que les tortues ont tendance à retourner sur les mêmes sites de nidification d’une année sur l’autre (une pratique appelée « fidélité au site de ponte »), cette carte peut aider le personnel municipal à être attentif aux tortues nicheuses pour éviter d’endommager ou de détruire leur nid.

La Ville a également accepté de suspendre la tonte des pelouses entre septembre et octobre lors de l’éclosion des œufs de tortues serpentines et entre mai et juin lors de l’éclosion des œufs de tortues peintes du Centre.

Dans le Rapport sur les parcs urbains du Canada de 2022, Carolynne Crawley décrit son travail comme consistant à aider les gens à « se reconnecter à leur relation avec la Terre » et à leur donner la possibilité de ralentir le rythme et de prendre conscience du monde qui les entoure.

Turtle Protectors High Park doit ses débuts au respect, à la gratitude et à la bienveillance de ses deux fondatrices envers tous les êtres vivants. Cette approche a donné lieu à une série de collaborations précieuses incarnant véritablement le sens d’une collaboration en bonne intelligence où priment les relations de confiance.


L’équipe de Turtle Protectors High Park. Crédit : High Park Nature Centre

Carolynne et Jenny tiennent à remercier les personnes suivantes avec qui elles ont travaillé en étroite collaboration pour mener à bien le projet Turtle Protectors High Park :

  • La maman tortue serpentine qui a inspiré le projet en pondant ses œufs le 8 juin 2021.
  • Les Aînés du Clan de la Tortue, Vivian Recollet, Bigasohn Kwe, le Clan de la Tortue du territoire non cédé de Wikwemikong, la Première Nation Ojibwé, Catherine Tammaro, People of the Little Turtle, la Première Nation Wyandot d’Anderdon, et la Confédération Wendat, qui ont permis de guider le programme.
  • Henry Pitawanakwat, pour avoir donné à Turtle Protectors son nom en Anishinaabemowin : « Mishiikenh Gizhaasowin ».
    Heart Lake Turtle Troopers pour avoir partagé leurs ressources et leurs pratiques exemplaires.
  • Andrea Bastien, de l’Indigenous Land Stewardship Circle, pour avoir participé à la visite du site.
  • Jennifer Lafontaine, du service des Affaires autochtones de la Ville de Toronto, pour la mise en relation avec les services municipaux.
  • Helen Sousa, du service des Parcs, forêts et loisirs de la Ville de Toronto, pour avoir soutenu le projet dès ses débuts et pour nous avoir offert un espace d’entreposage près de l’étang Grenadier. Kyle Moffit et Daniel Taylor pour avoir fabriqué les six premiers dispositifs de protection des nids de tortues en 2021 et pour avoir installé les panneaux de Turtle Protectors dans le parc.
  • Esther Attard, du service de Contrôle des animaux de la Ville de Toronto, pour nous avoir fourni 15 dispositifs de protection des nids et les matériaux nécessaires à la fabrication de 20 autres, et pour avoir financé la création et la production de nos panneaux à High Park.
  • Amyris Rada pour la création et la maintenance de notre site Internet et de nos pages sur les réseaux sociaux.
  • Le High Park Nature Centre pour nous avoir fourni un lieu pour organiser nos événements publics.
  • TD et les Amis des parcs pour la bourse qu’ils nous ont fournie pour trois événements publics.

 


Une tortue en train de traverser la rue à High Park, Toronto, 2022

Que faire si vous observez une tortue en train de nicher entre la fin mai et mi-juillet :

  • Laissez-lui un espace d’au moins 4 mètres pour ne pas la déranger et demandez aux autres curieux de faire de même.
  • Si vous voyez la tortue en train de nicher à High Park ou dans les environs, appelez la ligne d’assistance téléphonique Turtle Protectors au 647 491-4057. Un·e bénévole viendra s’occuper de la tortue et installera un dispositif de protection pour le nid une fois qu’elle aura fini de pondre ses œufs.
  • Si une tortue traverse la route et risque d’être écrasée, aidez-la à traverser la route dans la direction où elle se dirige.

 

Rendu possible grâce à une formidable collaboration

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