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« La nouvelle civilisation écologique » : une conversation avec Kongjian Yu sur les paysages basés sur le principe d’abondance

juillet 5, 2022
Park People

En préparation de la Conférence des Amis des parcs qui se tiendra du 21 au 23 septembre 2022, Amis des parcs a rencontré Kongjian Yu. Kongjian Yu travaille comme architecte paysagiste à l’université de Pékin et est fondateur du cabinet d’architecture paysagère Turenscape*. Turenscape* est l’un des premiers et des plus grands cabinets privés d’architecture, d’architecture paysagère et d’urbanisme en Chine. Le gouvernement chinois a mis en application les recherches pionnières de Kongjian Yu sur les modèles de sécurité écologique* et les villes-éponges* dans ses initiatives de protection et de restauration écologiques à l’échelle nationale.

La Conférence des Amis des parcs porte sur le thème de l’abondance. Chaque jour sera consacré à un aspect différent de ce thème. Le discours de Kongjian Yu donnera le coup d’envoi de la troisième journée sur le thème des paysages basés sur le principe d’abondance.

Les inscriptions à la Conférence des Amis des parcs ont déjà commencé.

Jodi Lastman :

D’où vient cette idéologie des êtres humains de vouloir contrôler le flux de l’eau dans les milieux urbains?

Kongjian Yu :

Pendant longtemps, nous avons associé l’idée d’être « civilisés » et « modernes » au fait d’avoir recours aux technologies humaines pour contrôler la nature.
Les grands gouvernements centralisés ont construit de grandes infrastructures en utilisant des matériaux artificiels comme de l’acier et du béton.
La technologie est ainsi devenue une nouvelle religion. Les nations en développement ont abandonné la sagesse ancestrale et ont voulu rattraper leur retard pour être perçues comme des pays modernes. Elles ont construit des « infrastructures grises » plus grandes et plus solides pour honorer le dieu de la civilisation.

« Toutefois, l’eau a besoin d’espace. C’est une question de bon sens. »

En Chine, nous avons des saisons sèches où il ne tombe pas une goutte d’eau pendant des mois. Puis, en été, nous avons la saison des moussons, pendant laquelle nous recevons 80 % des précipitations de l’année. Parfois, il tombe la moitié des précipitations de l’année en une seule journée.

« Les anciens savaient comment gérer l’eau dans des conditions bien pires que celles auxquelles nous sommes confrontés aujourd’hui. Ils ont construit des étangs et des lacs pour gérer l’eau sur place. Ils vivaient sur les hauteurs et ne construisaient pas sur les basses terres qui servaient à résorber les éventuelles crues. »

À notre époque moderne, nous avons oublié cette sagesse ancestrale. Nous l’avons remplacée par l’idée que nous pouvons contrôler l’eau avec des barrages, des murs d’endiguement et des canalisations d’évacuation sophistiquées. Le résultat : érosion des sols, rupture des échanges entre eaux de surface et eaux souterraines, ruissellement excessif des eaux et graves inondations.

 

     
Fig.1,2. Kongjian Yu a convaincu le gouvernement de la ville de Taizhou de démolir le canal en béton. Son cabinet a conçu un parc riverain respectueux de l’environnement. Parc de la rivière Yongning à Taizhou

 

     
Fig.3,4. Avant et après 2015. Pour le parc de mangrove de Sanya, réalisé dans le cadre d’un projet utilisant le modèle de ville-éponge, le cabinet de Kongjian Yu a démoli un mur d’endiguement en béton et restauré une forêt de mangrove pour créer un parc riverain résilient face aux inondations.

 


Fig.5,6. Avant et après. Construction d’un parc-éponge pour réguler les eaux pluviales, parc de la zone humide de Sanya Dong’an

 

JL :

Vous parlez d’une nouvelle architecture paysagère « saine, productive et belle ». Pourquoi est-il important que les paysages qui absorbent l’eau soient également beaux?

KY :

Lorsque Louis XIV a créé Versailles, il a instauré une idée artificielle de la nature. À l’époque, la priorité était donnée aux fleurs importées, à une pelouse bien tondue ou aux haies de buis bien taillées. Ces jardins ornementaux étaient conçus pour être admirés de loin. J’appelle cela « l’approche des pieds bandés »*. C’est manipuler la nature pour créer une esthétique forcée qui n’est, en fait, pas naturelle.

« Les gens doivent être capables de voir la beauté dans le désordre de la nature. »

Les villes-éponges adoptent ainsi une nouvelle définition de la civilisation. Cette nouvelle définition met en avant le respect de la nature, l’intégration des systèmes naturels et la réconciliation avec la nature.

Lorsque les gens regardent l’eau courir, les oiseaux prendre leur envol et les grenouilles vivre en harmonie avec l’eau, ils peuvent apprécier la beauté et l’aspect rassurant de ce genre de nature.

Voir quelque chose de beau nous détend. Nous devons embellir l’aspect désordonné de la nature pour que les gens comprennent qu’elle ne représente pas une menace.

En 2008, mon cabinet a conçu le parc Qiaoyuan de Tianjin sur une ancienne friche industrielle. Les eaux de ruissellement de la ville qui avaient contaminé le sol et l’eau avaient inondé le site. Nous avons restauré le sol et l’eau en utilisant des méthodes régénératrices et des plantes indigènes. Nous avons également intégré des sentiers, des plateformes et des ponts dans la conception afin que les gens puissent se rapprocher de la nature.

Le parc-éponge régule les eaux pluviales et améliore la qualité des sols, mais il aide aussi les gens à établir une toute nouvelle relation avec l’eau.

Il permet de conjuguer les besoins de survie avec l’art.

     

Fig. 7,8, Avant-après. Une forêt flottante : parc Fishtail de la ville de Nanchang

Un terrain surexploité de 51 hectares transformé en une pittoresque forêt flottante et permettant de réguler les inondations, offre un habitat à la faune et à la flore, de nombreuses activités récréatives et une nouvelle manière de se connecter à la nature. Ce modèle peut être appliqué facilement pour des projets liés à la gestion des inondations, à la restauration des habitats et aux loisirs. Les structures, ponts, plateformes, pavillons et tours d’observation ont été construits avec des plaques d’aluminium perforées. Cela crée un contraste saisissant avec le cadre naturel.

 

     
Fig.9,10. Pour le parc Qiaoyuan de Tianjin, Turenscape a réhabilité une ancienne décharge en utilisant des processus de régénération et en modifiant le relief du terrain. Le processus naturel d’adaptation des plantes crée un parc-éponge nécessitant peu d’entretien. Par ailleurs, le parc fournit à la ville des services écosystémiques naturels. Il permet de purifier les eaux pluviales, d’améliorer la composition des sols et d’encourager les gens à passer du temps dans la nature.

 

JL :

Vous dites que les villes-éponges ne constituent pas des solutions universelles. Quel rôle le public peut-il jouer dans les villes-éponges?

KY :

Dans le village où j’ai grandi, nous avions sept étangs pour gérer les inondations provoquées par la mousson, et ce, dans un village d’environ 500 personnes. Les traditions chinoises d’il y a 2000 ans préconisent de réserver un hectare de terres pour quatre hectares de terres cultivées pour résorber les eaux de pluie. Ainsi, 20 % des terres sont dédiées à cette régulation de l’eau.

Chaque famille avait donc son propre bassin pour recueillir les eaux de pluie venant du toit et des champs autour de la ferme. Chaque famille avait suffisamment de bassins et d’étangs pour réguler l’eau sur place. Ces étangs protégeaient notre famille, mais protégeaient aussi les autres résidents de nos eaux de ruissellement.

Dans les pays dotés d’un gouvernement centralisé et puissant, on voit souvent d’énormes barrages et d’immenses canaux. Cela engendre une séparation. L’eau est séparée de la terre; l’eau est séparée des gens; l’eau est séparée des villes et des collectivités; le drainage est séparé de l’approvisionnement en eau; le contrôle des inondations est séparé des mesures contre la sécheresse.

C’est pourquoi nous devons nous reconnecter à l’eau, ainsi qu’à la terre, à l’humain, aux villes et aux riverains. Nous devons considérer l’eau comme une responsabilité partagée.

Lorsque nous créons une séparation avec l’eau, nous créons des problèmes « en aval ».

L’eau est également une question d’équité sociale. Aujourd’hui, les personnes qui vivent sur les basses terres des plaines inondables sont généralement défavorisées. L’élite vit dans les endroits les plus sûrs : sur les hautes terres. Par conséquent, si nous ne gérons pas l’eau à la source, celle-ci inondera et détruira les basses terres.

Dans le modèle de la ville-éponge, chaque parcelle de terre est conçue pour absorber l’eau à la source. Les parcs, jardins collectifs et jardins privatifs absorbent l’eau afin qu’aucune vie ne soit menacée par une inondation.

 


Fig.11,12,13. Les parcs-éponges permettent aux gens de se rassembler et aussi de renforcer le tissu social. Ce large espace ouvert semblable à une éponge constitue une infrastructure verte (parc Fishtail de Nanchang). Le parc-éponge (Parc Qiaoyuan de Tianjin) et l’étang-éponge (au château de Chaumont en France)

JL :

Le nom de votre cabinet « Turenscape » vient des mots « terre » et « gens ». « Tu » veut dire « terre ». « Ren » veut dire « gens ». Comment les villes-éponges peuvent-elles contribuer à réparer les liens entre les humains et la nature?

KY :

« Nous devons comprendre que lorsque l’on détruit la nature, on se détruit soi-même. Les humains doivent apprendre de la nature, créer en s’appuyant sur la nature et respecter la nature pour leur propre survie! »

Nous devons révéler notre côté biophile, c’est-à-dire notre amour inné de la nature. Nous devons réveiller quelque chose qui est enfoui à l’intérieur de nous.

Même un chimpanzé dans la jungle perçoit toute la beauté de la nature en regardant un coucher de soleil. Nous avons troqué notre biophilie pour des idées « modernes » comme la technologie, l’esthétique et l’infrastructure… comme la tradition des pieds bandés ou l’approche de Louis XIV. Ce sont des pratiques artificielles qui tiennent la nature désordonnée à l’écart, car celle-ci est perçue comme une menace.

Lorsque l’on entre en contact direct avec le désordre de la nature, on apprend à en ressentir le caractère rassurant. Lorsqu’une personne se sent en sécurité et détendue, elle peut alors s’ouvrir à la beauté. Et c’est à ce moment-là que l’on peut trouver en nous ce lien avec la nature.

Notre amour de la nature est inné.

Nous devons cesser de vénérer la technologie et embrasser la nouvelle civilisation écologique. Cette nouvelle civilisation écologique crée des paysages naturels à la fois sains, productifs et beaux.

Je suis optimiste que c’est l’avenir que nous pourrons créer.


Fig.14,15. Les gens, en particulier les enfants, se sentent revivre lorsqu’ils sont immergés dans une nature rassurante et désordonnée (le parc Fishtail de Nanchang et le parc de la zone humide de Tong’an Dafusi).

 

(Tous les projets ont été conçus par Kongjian Yu/Turenscape, photos : Kongjian Yu /Turenscape)

Les inscriptions à la Conférence des Amis des parcs ont déjà commencé.

Nous espérons que vous vous joindrez à la Conférence des Amis des parcs du 21 au 23 septembre 2022.  

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